L'expérience de la mort est quelque chose de fascinant. Et je me souviens très bien la première fois où j'y ai été confronté. Il s'agissait d'un thon mort, sur la playa de los lances, tout près de Tarifa.
J'étais très petit, tout au plus six ans. Et je n'avais jamais vu de cadavre de cette taille. Tout comme le temps déforme les souvenirs, ma taille relative me permettait mal d'apprécier la dimension de la bête. Mais cette impression est restée gravée dans ma mémoire. Ainsi donc, cet être, bien plus gros que moi, avait cessé de vivre?
D'autant que je me souvienne, j'avais montré un grande considération pour l'animal mort. J'avoue, à d'autres occasions, avoir joué à planter des bâtons dans le corps de méduses échouées le long des plages. Ou encore m'être amusé à compter le nombre de dépouilles canines le long des routes espagnoles, alors que nous voyagions dans l'hiver d'une Espagne post-franquiste. Mais je jure ne pas avoir manqué de respect à ce poisson mort, même une fois sa putréfaction entamée.
C'est seulement quelques années plus tard que de nouveau, j'étais face à face avec un macchabée. Tout près de là où j'avais découvert le thon. Un mammifère cette fois-ci. Une truie, dont j'aurais du mal, là aussi, à évaluer la mesure. Ma relation à la mort avait-elle changée entre ces deux épisodes? Ou me sentais-je plus proche du porc, et donc plus permis de porter atteinte à l'intégrité de ses restes mortels? Toujours est-il qu'il ne se passait pas une journée sans que j'aille examiner les restes du cochon, qui Dieu seul sait comment s'était échoué sur la plage de mes vacances. Bientôt, c'est à jet de pierres que j'espérais voir exploser le ventre de la charogne violacée.
Et voilà que bien des années plus tard, et après avoir pu remarquer de nombreux cadavres d'oiseaux sur maintes plages, quoique ne leur ayant jamais prêté l'attention qu'ils méritaient, je rencontrais enfin un troisième cadavre, de ceux qui vous restent gravé dans l'inconscient par l'horreur inquiétante qu'ils éveillent en vous. Un reptile, cette fois-ci. Pour changer. Et pas des moindres.
C'est très exactement dans la matinée du jeudi deux juillet, par marée baissante, que nous avons pu observer un spectacle surprenant. Sur la plage de Barbate. Alors que les vagues laissaient apparaître ce qui de loin ressemblait à un rocher de couleur blanche, les baigneurs et autres badauds se regroupaient pour examiner ce qui s'avérait être la carapace putride d'une gigantesque tortue marine. C'est le genre de situation où l'on ne fait pas grand cas des règles de distanciation sociale, et où l'on vient volontiers dévisager la malchanceuse créature, comme pour s'assurer qu'elle est bel est bien défunte.
D'où nous vient donc cette morbidité? Pourquoi est-ce presque avec gaité de coeur que nous souhaitions contempler la mort, tant que ce n'est pas quelque chose qui nous affecte directement? S'il s'agissait seulement d'animaux, mais c'est le plus souvent la mort des hommes que nous contemplons en spectacle, comme rassurés d'être épargné de tout ce malheur. Le bilan annuel des décès dus aux accidents de la route. Quelques images de guerres indécentes en de lointains pays, entre deux pages de publicité.
Bref, cette tortue m'a rappelé mon enfance et ma mortalité.
Bonne lecture!